#99

Le peintre de la Tour Eiffel, Paris, 1953

Marc Riboud

Un jour de printemps 1953, Marc Riboud, jeune photographe faisant ses premiers pas dans Paris et dans la photo, décide de monter sur la Tour Eiffel. Il ne le sait pas encore, mais il prendra ce jour-là une photographie qui le fera entrer dans la légende.

Bon pied bon œil, le photographe monte à l’assaut de la tour par un étroit escalier en colimaçon, aujourd’hui disparu. Son Leica en bandoulière, il croise, en haut de la tour, un groupe de peintres : J’ai grimpé à pied jusqu’au dernier étage, avec mon appareil, un objectif de 50 mm et un seul film de 36 poses. Arrivé à proximité du sommet, j’étais tellement timide que je n’ai même pas osé parler au groupe de peintres qui se déplaçaient sur les poutrelles. Je les ai donc photographiés un par un. L’un d’entre eux m’a offert un bout de saucisson que j’ai mangé avec lui sans échanger un seul mot. De cette poignée de peintres funambules, se déplaçant avec agilité et sans filets à plus de 300 mètres de hauteur, il repère l’un d’entre eux, surnommé Zazou – tel Buster Keaton, ce dernier se balade avec désinvolture en équilibriste élégant, la cigarette aux lèvres, et se révélera un modèle idéal.

Mais l’aventure aurait pu tourner court pour notre zélé photographe qui, sur les conseils de son mentor Henri Cartier-Bresson, avait utilisé un ancien viseur qui permettait de renverser l’image. «Tu verras, pour cadrer, c’est extra » m’avait-t-il dit. Les maîtres de la Renaissance s’en servaient pour vérifier la composition de leurs toiles, en les regardant dans le miroir. Equipé de ce redresseur d’image et de mon seul film, lorsque je me suis retrouvé en haut de la tour qu’on était en train de repeindre, j’ai mis l’œil dans ce fameux viseur. Soudain, j’ai vu un peintre basculer la tête en bas et j’ai failli perdre l’équilibre. Cette première photo aurait bien pu être la dernière.

La suite est un happy end : Robert Capa choisit, sans hésiter, cette photographie sur la planche-contact et la vend magazine Life, qui la reproduit en dernière page. Légendée Blitheful on the Eiffel (escapade sur la tour), à la rubrique miscellany (divers), et sans mentionner le nom du photographe, dont c’est la première publication. Cette photographie sera également son ticket d’entrée à l’agence Magnum, la même année, en 1953.