#77

L'aiglier kazakh, Mongolie

Roland Michaud

Les rêves sont faits pour être vécus disait Roland Michaud, qui dut patienter très longtemps avant de pouvoir rencontrer les légendaires aigliers kazakhs. Je laisse à ce conteur célèbre le soin d’en dire un peu plus : nous sommes en Mongolie à deux mille kilomètres à l’ouest d’Ulan Bator. Il m’aura fallu attendre trente ans pour rencontrer les aigliers kazakhs qui chassent le renard comme il y a mille ans ! Les chameaux de Bactriane, majestueux et hautains, regagnent le campement. L’Altaï vire au violet. Visages de cuir mâché, burinés par les vents. Les éclairages intérieurs évoquent les tableaux de Georges de la Tour et les attitudes semblent tout droit sorties de Le Nain et Bruegel. C’est peut-être parce que cette humanité appartient à tous les temps et à tous les lieux que nous nous sentons à l’aise. L’odeur des beignets frais chatouille nos narines, la grand-mère file la laine à la quenouille et les notes nostalgiques du dombra chantent la beauté de la steppe, l’amour de l’homme pour son cheval, pour son aigle et pour sa bien-aimée. Nous ne sommes pas seulement les spectateurs privilégiés d’un film d’Eisenstein ou de Tarkovski, mais les acteurs d’une épopée bien vivante.

Les Kazakhs de Mongolie sont peu nombreux, un peu moins de cent mille, mais ils ont su conserver leurs traditions séculaires. Semblables à leurs aigles, les hommes ont des profils d’oiseaux de proie. Coiffés de toques en soie aux oreillettes doubles de fourrure, vêtus de noirs manteaux et bottés de feutre épais, intimidants de silence et d’allure – tels sont les aigliers kazakhs.

L’aigle royal (aquila chrysaetos), souvent appelé aigle doré en raison de la couleur de ses plumes, atteint facilement deux mètres d’envergure. Ce sont les femelles qui sont dressées pour la chasse – parce qu’elles sont plus grosses, plus puissantes et plus agressives que les mâles. Une chasse principalement au lièvre et au renard, plus rarement au loup, et qui n’a lieu qu’en hiver (l’été, l’aigle mue et se repose). Malgré sa proximité avec les hommes, l’aigle demeure un animal sauvage, il ne devient jamais familier et les enfants et les femmes n’ont pas le droit de l’approcher.

Difficile, en effet, de ne pas être hypnotisé par le double regard de l’aiglier, d’un bleu acier, et de son aigle, d’un roux couleur de feu. Alors, le temps a suspendu son vol et le photographe, bouleversé et heureux, sait qu’ici, à l’aube du IIIe millénaire, l’émotion, la beauté et la magie perdurent (…). L’art et la vie ne font qu’un.