#68

The Midnight Kids, Sophiatown, 1954

Jürgen Schadeberg

C’est en préparant cette newsletter aujourd’hui que j’ai appris la mort de Jürgen Schadeberg le weekend dernier. Nous avons présenté, à la galerie, plusieurs facettes de son formidable travail en Afrique du Sud, qu’il s’agisse de ses photographies iconiques de Nelson Mandela, des grandes campagnes anti-apartheid qu’il a couvertes (The Defiance Campaign) ou bien de ses merveilleux clichés sur l’extraordinaire vitalité de la scène musicale à Sophiatown. C’est donc avec une grande émotion que nous vous montrons cette délicieuse photographie du groupe au nom exquis, The Midnight Kids, pour lui rendre l’hommage qu’il mérite.

Arrivé en Afrique du Sud en 1950 de sa ville natale de Berlin, Jürgen Schadeberg est immédiatement confronté à la violence de l’apartheid : J’ai trouvé deux sociétés qui se développaient en parallèle sans aucune communication entre elles. Il y avait un mur invisible entre ces deux communautés. Il insistait d’ailleurs sur le fait que la communauté noire devenait de plus en plus dynamique sur le plan politique et culturel, alors que la communauté blanche semblait isolée, murée dans son conformisme, très coloniale et totalement ignorante de la vie quotidienne des noirs. Il rejoindra l’équipe de Drums, le grand magazine culturel sud-africain de la communauté noire, dont il allait rapidement devenir le directeur artistique.

C’est à Sophiatown, le quartier pauvre et violent de Johannesburg, qu’a émergé une extraordinaire scène musicale africaine donnant le ton du meilleur jazz de l’époque. Sur cette image, les Midnight Kids, un groupe vocal du quartier, donne un concert dans une petite salle. Et si la jeune fille, sagement habillée d’une jupe blanche et d’un corsage noir, semble plongée dans sa chanson, les couples de jeunes hommes en nœud papillon paraissent tout aussi sérieux et appliqués. Bien que ce groupe n’ait pas eu la notoriété d’une chanteuse comme Miriam Makeba ou Hugh Masekela, ces très jeunes chanteurs n’en évoquent pas moins le joyeux dynamisme d’une communauté en butte à une oppression redoutable. Et c’est en cela que réside la force de cette photographie, qui montre que, malgré un environnement hostile, la vie peut être belle et joyeuse. Et également subversive, dans son aspect le plus positif – c’est-à-dire résistante car, comme le dit Roland Barthes, la photographie est subversive, non lorsqu’elle effraie, révulse ou même stigmatise, mais lorsqu’elle est pensive.