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Françoise Sagan chez elle au moment de la sortie de "Bonjour Tristesse", Paris, 1954

Sabine Weiss

Sabine Weiss est espiègle tout comme son modèle, Françoise Sagan. Suisse de naissance mais parisienne de cœur, Sabine Weiss a toujours vécu entourée d’artistes, à commencer par son mari, le peintre Hugh Weiss, ou bien ses grands amis comme Giacometti ou Niki de Saint-Phalle pour n’en citer que quelques-uns.
Devant l’objectif de Sabine Weiss, Françoise semble une jeune fille bien élevée – habillée sagement – cardigan, petit corsage blanc, mise en plis bon ton – qui pose d’un air ingénu, sur un tapis persan, devant sa machine à écrire.

Cette jeune fille, c’est Françoise Sagan, qui vient de publier, à 18 ans, son premier roman, Bonjour Tristesse – titre tiré d’un poème de Paul Eluard, et qui fera date dans histoire de l’édition. Sagan a l’humour corrosif, comme lorsqu’elle raconte comment l’écriture lui est venue : J’ai commencé à bégayer vers 3,4 ans. Personne ne me comprenait. J’ai dû me mettre à écrire pour pouvoir communiquer. Son nom, Sagan, est un pseudonyme, son père refusant de voir son véritable nom sur la couverture d’un livre. Aimant déjà Proust, elle choisit le nom du prince de Sagan dans le roman de Proust, A la Recherche du Temps Perdu.

Elle raconte la saga de son premier roman : J’étais à la Sorbonne à l’époque et je l’ai écris sur un petit cahier bleu … pendant les cours. C’est comme ça que j’ai brillamment échoué.
Le livre, qui montre la liberté de son héroïne, Cécile, fait scandale. J’ai mis longtemps à comprendre pourquoi c’était scandaleux dit-elle. Et c’était en fait, tout bonnement je crois parce qu’une jeune fille faisait l’amour avec un garçon sans en être amoureuse et sans être enceinte après. Perfidie, complaisance, amoralisme –  les aventures d’une jeune adolescente lucide, ne souhaitant suivre que son bon plaisir, sont analysées avec une surprenante clairvoyance pour un si jeune auteur. Rien n’a d’importance, on fait ce qu’on veut. Seule la mort d’Anne, à la fin du roman, amène un nouveau sentiment qui hantera désormais la jeune fille : la tristesse.

Petit chef-d’œuvre de cynisme et de cruauté – ce roman est une sorte de fusion de plusieurs personnages : le féroce Laclos des Liaisons dangereuses, l’innocente Cate des Hauts-de-Hurlevant et la troublante Marthe dans Le Diable au corps de Radiguet. Enfant prodige qualifiée de charmant petit monstre de dix-huit ans par François Mauriac, Françoise Sagan aura marqué son époque. L’auteur dira plus tard de cette aventure : La gloire, je l’ai rencontrée à 18 ans en 188 pages, c’était comme un coup de grisou.

Ainsi, celle qui aimait les bons plaisirs et la liberté avant toute autre chose, avait également du panache, en écrivant son épitaphe en ces termes :
Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, « Bonjour tristesse », qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même.