#119
Le village de Gurtso sur la route de Lhassa, Tibet, 1987
Jaroslav Poncar
Depuis la nuit des temps, l’Himalaya, le séjour des neiges en sanskrit, érige avec une magnificence divine sa domination sur l’Asie. Sommets mythiques – l’Everest, le Kangchenjunga, le Lhotse –, fleuves légendaires y prenant leur source – l’Indus, le Bhramapoutre – Tsanpo en tibétain –, populations superbes et dignes, nature splendide, indomptée et impitoyable : tout porte à penser que nous sommes effectivement ici au séjour des dieux. L’imaginaire se substitue au réel et le vertige surprend le pèlerin, venu se recueillir sur cette terre sacrée, près du Mont Kaïlash, la montagne sacrée où est née Civa et où il médite pour l’éternité.
Jaroslav Poncar a passé plus de quarante ans dans l’Himalaya, et il pense aujourd’hui que, bien qu’il soit un athée forcené, c’est son kharma qui l’a poussé à y rester tant de temps. Toujours à la recherche de Shangri-La, ce lieu imaginaire paradisiaque qui fait rêver, et dont on pense qu’il se situe dans une vallée cachée de l’Himalaya. Il le cherche encore…
Le Tibet occupe une place privilégiée. Nous l’admirons pour son intensité mystique, nous admirons ses paysages sublimes et nous sommes déchirés par les tragédies politiques qui le frappent dans son passé récent (…). Ce Toit du Monde est si différent de notre monde qu’il ne semble pas appartenir à la même planète. L’air est si fin qu’il est difficile à respirer, la plus grande partie des terres est trop rocheuse pour être fertile et le climat est aussi froid et sec que sur la lune. Et pourtant, ses couleurs, ricochant entre les montagnes, sont aussi superbes qu’au paradis. On entend le chant des pèlerins dans l’air glacé. Et derrière ses remparts montagneux, le plateau tibétain semble s’élever comme dans une prière, plus proche du ciel que n’importe quelle autre terre du monde.
Mais le Tibet est aussi un pays troublant. Pourquoi une population aussi zélée et religieuse doit-elle affronter une vie aussi rude et aussi ingrate ? Dans un territoire qui fait rêver, l’histoire doit-elle se révéler un cauchemar ?
Nous aimons le Tibet parce qu’il défie nos croyances (…). Si nous pouvons sauver le tigre, pourquoi ne pouvons-nous pas sauver le Tibet ?…
John Keay