#118

Haute Cour à Chandigar, Inde, 1955

Lucien Hervé

Dans les années cinquante, le Premier ministre indien, Nehru, a une idée folle : la construction d’une cité idéale. L’Inde, qui vient de retrouver son indépendance après des années passées sous le joug de l’Empire britannique, veut alors se tourner résolument vers l’avenir. Après la partition, une partie du Pendjab, où se situe Lahore – la capitale historique de l’Etat – se trouve au Pakistan. L’ambition politique est à la hauteur du défi insensé : ce sera Chandigarh.

Ce projet insensé, hors norme, occupera Le Corbusier jusqu’à sa mort. Le système voulu par l’architecte est soumis à la rationalité pure et la ville, divisée en 61 secteurs séparés par de larges avenues, s’organise autour de 4 fonctions : l’habitation, le travail, les loisirs et la circulation. La verticalité est abandonnée au profit de l’horizontalité. Au nord de la ville se déploie la Chandigarh publique et le Complexe du Capitole. Dans un idéal architectural et politique, l’esprit de Chandigarh s’incarne dans un symbole resté célèbre : une main tendue vers le ciel, ouverte pour donner, ouverte pour recevoir, selon les mots mêmes de l’architecte. Malheureusement, Le Corbusier meurt en 1965 sans avoir pu voir la réalisation finale de son projet le plus fou.

Dans cette photographie profondément graphique, on reconnaît la touche de celui à qui Le Corbusier disait : Vous avez l’âme d’un architecte ! L’espace, tendu entre ombre et lumière, rend compte de la géométrie rigoureuse du bâtiment, dans une composition tendant à l’essentiel, à l’abstraction – si ce n’était le passage léger d’un homme, marchant avec une canne. Renommé pour ses prises de vue architecturales, fidèle compagnon de route de Le Corbusier, Lucien Hervé rend ici magistralement compte de la virtuosité du rêve indien de Chandigarh.

Mon problème consiste à visualiser en deux dimensions un art de l’espace, en éliminant de son vocabulaire les redondances, les boursouflures pour ne retenir que les multiplicités de l’essentiel à mes yeux.