#117

Le bassin du dragon, Versailles

Jean-Baptiste Leroux

L’onde ne chante plus en tes mille fontaines,
O Versailles, Cité des Eaux, Jardin des Rois !
Ta couronne ne porte plus, ô souveraine,
Les clairs lys de cristal qui l’ornaient autrefois ! (…)

Qu’importe ! ce n’est pas ta splendeur et ta gloire
Que visitent mes pas et que veulent mes yeux ;
Et je ne monte pas les marches de l’histoire
Au-devant du Héros qui survit en tes Dieux. (…)

Que m’importent le jet, la gerbe et la cascade
Et que Neptune à sec ait brisé son trident,
Ni qu’en son bronze aride un farouche Encelade
Se soulève, une feuille morte entre les dents,

Pourvu que faible, basse, et dans l’ombre incertaine
Du fond d’un vert bosquet qu’elle a pris pour tombeau,
J’entende longuement ta dernière fontaine,
O Versailles, pleurer sur toi, Cité des Eaux !

Henri de Régnier, La Cité des Eaux, « Salut à Versailles ».

Dans un jardin à la française, et à Versailles plus qu’ailleurs, l’eau est un ornement privilégié de l’architecture des jardins. A partir de 1661, au moment où le jeune Louis XIV décide l’aménagement du domaine et jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les jardins du château de Versailles s’ornent de fontaines et de bosquets. Certains de ces jeux d’eau et sculptures ont disparu aujourd’hui, comme la Grotte de Thétis, le Labyrinthe, le Théâtre d’eau, L’Isle royale, L’Arc de triomphe;  d’autres ont été transformés au fil du temps comme le bassin de Latone ou les bains d’Apollon. On compte aujourd’hui près de 2000 bassins et jeux d’eau qui témoignent de cet art des fontaines.

C’est à la Renaissance que les fontaines sont réinventées. La redécouverte des travaux antiques sur l’hydraulique se conjugue avec une nouvelle esthétique du jardin, devenu lieu d’agrément, tel que mis en scène par le Songe de Poliphile de Francesco Colonna (1453-1523), un ouvrage qui rencontra un grand succès à l’époque.

Le bassin du Dragon se trouve au niveau de l’intersection entre l’avenue de Trianon et l’allée d’Eau, au Nord-Est du parc. Le bain des Nymphes est situé à son côté Nord. Depuis le château, il précède le bassin de Neptune. Le bassin du Dragon représente un des épisodes de la légende apollinienne : le dragon Python, qui fut tué d’une flèche par le jeune Apollon.  Lancé par Junon à la poursuite de Latone, enceinte d’Apollon et d’Artémis, le dragon devait empêcher Latone d’accoucher, afin de la punir de son union avec Jupiter. Il terrorisait la population de Delphes en veillant sur son oracle, consacré au départ à Thémis, déesse de la Justice. Le jeune Apollon le perça de ses flèches et se rendit maître de l’oracle nommée Pythie puis, afin d’apaiser la colère de Gaïa, mère de Python, il créa les Jeux Pythiques.

A Versailles, les frères Marsy ont choisi de représenter le dragon agonisant, percé des flèches d’Apollon, et crachant son sang figuré par l’immense jet d’eau sortant de sa gueule. Il a une crinière de cheval, des ailes pointues et une queue de poisson. Autour de lui, se trouvent quatre enfants armés d’arcs et de flèches, qui symbolisent Apollon, montés sur des cygnes et escortés par quatre dauphins.

Les fontaines constituent une mise en scène, un spectacle, utilisé par Louis XIV dans le cadre des bosquets et des jeux d’eau afin de participer à la glorification de son règne.