#111

Cité interdite sous la neige, Pékin, 1957

Marc Riboud

Si Marc Riboud a toujours été attiré par l’Asie, c’est surtout la Chine qu’il va explorer – une histoire de 50 ans, qui a commencé en 1957 pour se terminer en 2010. Dans les années 1950, la Chine était encore un pays très fermé, ce qui avait attisé sa curiosité. Et puis, c’était loin. C’était beau… (Catherine Chaine).

Avant lui, seuls quelques rares photographes occidentaux s’étaient aventurés sur ces terres lointaines : Robert Capa en 1938 et Henri Cartier-Bresson en 1949, lors de la chute du Kuomintang. Mais c’était déjà il y un certain temps…
Marc Riboud arrive en Chine en 1957, après avoir passé un an en Inde et au Népal. C’est l’époque de la campagne des Cent Fleurs dans laquelle Mao, suivant un mouvement d’ouverture envers les intellectuels, entend redonner une certaine liberté d’expression à la population – un mouvement qui, devant une contestation explosive, va s’arrêter brutalement pour être suivi par une répression féroce. Et dès 1958, c’est la politique du Grand Bond en avant qui va s’imposer.

Ce premier voyage en Chine est difficile : la situation politique est tendue, l’hiver est très rude, les Occidentaux sont rares et le pays reste difficile d’accès pour un étranger. Mais Riboud persévère : En Chine, j’ai beaucoup marché, beaucoup regardé. J’ai lu les livre, entendu les récits des voyageurs, partagé les enthousiasmes, les déceptions, les interrogations. Partout, j’ai vu, j’ai aimé, la beauté des visages, la patine des outils, l’immensité et l’étrangeté des paysages et partout une certaine dignité qui, pour presque tout un peuple, a remplacé l’humiliation.
Un jour, au petit matin, il marche dans la ville encore endormie jusqu’à la Cité interdite. Là, il surprend une scène magique, qui va devenir une de ses photographies les plus célèbres : la silhouette immobile d’un homme qui, de dos, contemple la Cité interdite. L’image est saisissante de beauté formelle. L’atmosphère est tout à la fois irréelle et captivante : la neige immaculée qui recouvre la Cité interdite, le silence assourdissant que l’on devine, le froid qui crispe les corps – une scène en apparence paisible mais qui recèle bien des mystères : qui est cet homme ? un simple promeneur, un gardien, un nostalgique des temps anciens ? que fait-il là ? L’imaginaire de la Cité interdite, cet immense palais datant du XV° siècle et qui recouvre plus de 72 hectares, recèle également sa part de fantasmes et de secrets.

S’il est vrai que la photographie peut montrer le monde surtout quand il change, il est difficile de faire le portrait d’une Chine qui bouge si vite. L’image risque d’être floue et même contradictoire. Dans les rues et les villages où j’ai beaucoup marché, un coup d’œil est souvent démenti par le suivant, celui d’hier par celui d’aujourd’hui.