#110

Bagatelle, 1976

Pierre de Fenoÿl

C’est en devenant l’archiviste de Henri Cartier-Bresson que Pierre de Fenoÿl a découvert la photographie. La suite de sa carrière est limpide et rapide : il dirige les archives de Magnum à Paris puis il crée la première galerie photographique de Paris (la galerie Rencontre) et co-fonde l’agence VU avec Edouard Boubat et William Klein. Devenu directeur de la Fondation nationale de la photographie à Lyon, il est nommé Délégué à la photographie lors de la création du Centre Pompidou (1977), puis il décide, à partir de 1981, de se consacrer à son œuvre photographique.

Fenoÿl se consacre essentiellement au paysage, principalement en noir et blanc. Photographiquement, le paysage se modifie à chaque minute. Une photographie de paysage est un instantanné. Apparemment rien ne bouge, mais de même qu’à une source on ne boit jamais la même eau, on ne voit jamais le même paysage. Son travail, sobre et poétique, essentiel, se veut une expérience du temps et de la mémoire, une quête métaphysique de l’ordre de la contemplation et de la méditation. Pour lui, la photographie est une chronophotographie, un art du temps. Dans ses images, le sens de l’éphémère prévaut toujours.

Il en est ainsi de cette photographie empreinte de classicisme et quelque peu austère, prise dans le parc de Bagatelle à Paris, et dans laquelle une certaine quiétude intranquille s’installe au fur et à mesure que l’on rentre dans l’image : le visage de la statue, très proche, semble quelque peu troublé, et le paysage qui se déroule devant lui, qui semble si sage, l’est-il vraiment ? La photographie, selon Pierre de Fenoÿl, n’est pas un vol, c’est un don. Etre photographe, c’est matérialiser une intuition poétique de la réalité. Finalement, photographier, c’est recevoir, apporter, un au-delà qu’on ne soupçonne que par la poésie.

Ce photographe talentueux, dont la carrière s’est brusquement arrêtée jeune (il est mort à 44 ans) a compté parmi les plus doués de ce qu’on a appelé outre-Atlantique la Straight photography, la photographie pure, un mouvement photographique lancé par Alfred Stieglitz au début du XXe siècle en opposition avec le pictorialisme, et tendant à représenter une scène de façon aussi objective, nette et réaliste que possible.