Rêver la Grèce


Véronique de Folin, Carlos Freire, Lucien Hervé, Robert McCabe, Stella Nastou

« Axion esti to phôs »
Louée soit la lumière
Odysséas Elytis

Si photographier, c’est littéralement garder la trace (graphein) de la lumière (phôs), alors la photographie a la Grèce pour terre d’élection. « Axion esti to phôs » : louée soit la lumière, chantait le poète Elytis en hommage à sa terre natale, cette lumière de Midi qui dévoile, manifeste (phainesthai), fait resplendir la beauté des lieux. Les images ici réunies sont toutes enfants de cette « métaphysique solaire » dont se revendiquait Elytis : chaque photographie est une louange à la puissance du soleil qui l’a fait naître et qui rayonne encore à travers elle.

Transie de clarté, la Grèce n’en devient pourtant pas transparente : comme le mystère lui-même, elle « demeure mystère en pleine lumière » (Elytis, Discours du prix Nobel, 1979). Photographier la Grèce, c’est ainsi tenter de capturer quelque chose de l’éblouissement qu’elle suscite, révéler – au sens précisément photographique du terme – le mystère ancré dans les choses, dans les lieux, dans les paysages. Qui a déjà foulé le sol de Delphes n’a pu qu’être saisi par l’atmosphère mystique qui règne sur ce site, où l’on peine à croire que les vestiges soient inhabités et où les montagnes, les cyprès et les pierres paraissent sur le point de nous parler. Héraclite disait des dieux qu’ils séjournaient partout, même dans le plus prosaïque des feux de cuisine. Le mot était visionnaire : la Grèce continue de se présenter à nous comme une terre enchantée, un sanctuaire sauvage que la divinité habite toujours, y compris et surtout dans ses lieux les plus familiers et dans ses paysages en apparence les plus neutres. C’est ce mélange de splendeur naturelle, de présence anonyme et d’évidence du sacré que révèle le travail des photographes.

Rêver la Grèce, ce n’est donc pas faire surgir, par la puissance hallucinatoire du fantasme, une terre idéalisée, sorte d’Arcadie de songe, cruelle absente de toutes les cartes. Les cinq photographes exposés ici ne reconstruisent pas une Grèce chimérique, leur regard ne vient pas ré-enchanter par l’artifice une terre que le mystère aurait déserté. Fruit des noces spontanées de l’œil et du soleil, leurs clichés rendent visible l’onirisme latent qui habite la Grèce : ils exhibent cette « texture imaginaire du réel » qu’évoquait Merleau-Ponty (L’œil et l’esprit, p. 24) et que la Grèce, comme une offrande, nous donne à contempler. Entrelacs d’ombres et de lumières, de temples et de monastères, de prosaïsme et de surnaturel, le sol hellénique est ce lieu où le rêve a si longtemps peuplé le réel qu’il en est devenu l’étoffe même. Ainsi en est-il du Mont Athos, cette « Atlantide de la foi » comme aimait à la nommer Jacques Lacarrière, où la montagne se marie avec la mer et où le temps est miraculeusement revenu sur ses pas pour nous donner à voir, de la Grèce byzantine médiévale, une véritable « enluminure vivante ». Ce « continent saint » allie la sérénité d’une nature presque encore païenne avec la spiritualité intense et parfois tourmentée des moines orthodoxes, dont la quête spirituelle est ponctuée par des luttes nocturnes épiques entre les anges et les « démons » qui hantent les lieux. Rêver la Grèce, ce n’est donc pas fantasmer le mythe qu’elle n’est pas, mais c’est la faire apparaître telle qu’elle est : onirique dans sa réalité même.

Laura Tavernier


Exposition du 9 novembre 2022 au 11 février 2023