#95

Colonne à terre devant le temple de Zeus, Acropole, Athènes

Robert McCabe

Le temple de Zeus olympien – l’Olympiéion ‑ se déploie aux pieds de l’Acropole d’Athènes, sur son côté sud, à quelques centaines de mètres du centre de la ville. Sa construction s’étale sur plusieurs siècles : décidée à la fin du VI°s. av.J.-C, sous les Phisistratides, elle est interrompue au moment du renversement de la tyrannie (- 510) pour être reprise, au II° s. av. J.-C par Antiochos IV, roi de Syrie, mais sans être achevée. Il reviendra donc à Hadrien, grand admirateur de la culture grecque, de mettre un point final à la construction du temple, entre 124 et 132.

Ce temple d’ordre corinthien, gigantesque et grandiose, fut, à son époque, le plus grand temple du monde hellénistique et romain à Athènes, rivalisant par ses dimensions avec les grands temples élevés en Asie mineure, comme celui d’Ephèse. Construite en marbre Pentélique, il mesurait 108 m de longueur et 41 m de façade. Sur les 104 colonnes corinthiennes, chacune haute de 17m, qui structuraient le temple – il n’en reste plus que 15 debout aujourd’hui.

Qu’en est-il, sur le temps long, de cet héritage antique, aujourd’hui revendiqué et adulé par nos pairs ? Car les choses n’ont pas toujours été ainsi, comme l’explique merveilleusement Jacques Lacarrière. N’est-il pas curieux de penser que pendant des siècles et des siècles, de la fin du monde antique jusqu’au seuil de l’époque romantique, l’Acropole fut un lieu totalement inconnu de l’Occident, absent de nos images, de nos rêveries, de nos mémoires, aussi étranger à nos vies que les êtres d’avant le Déluge ou les cavernes de nos premiers cris d’homme ? Un lieu plus englouti dans le néant que les siècles négligés par l’histoire, une sorte de « trou noir » du temps comme ceux que les astronomes découvrent dans l’espace ?
Pendant cette longue période d’avant sa découverte ou sa redécouverte, l’Acropole, bien sûr, n’a pas véritablement cessé d’être. (…) L’Acropole n’est pas morte à l’histoire pendant tous ces siècles obscurs puisqu’elle a survécu humblement, puisqu’elle fut tout à tour village, fort, château, bazar, ruelles et jardins, que le Parthénon fut ruine abandonnée, puis église de la Vierge puis mosquée turque. Puisqu’une vie quotidienne, d’abord grecque puis turque, chrétienne puis musulmane a continué sur le Rocher sacré des anciens Grecs, sur le Château des Byzantins et des Grecs de l’Indépendance. (…)
Aujourd’hui les nouveaux Acropolitains se nomment les touristes. L’archéologie est devenue une nouvelle foi. (…) Mais après tant de siècles obscurs et profanes, je ne peux m’empêcher de penser à l’étrange destin de ce lieu. Car depuis qu’il a surgi – il y a juste un siècle – dans la conscience occidentale, depuis qu’il est devenu – ou redevenu après vingt-cinq siècles d’oubli – le lieu même où naquit la raison, le voici déjà menacé. (…)
Entre ce long silence et ce soudain tumulte, le temps des cultes anciens et ceux de la culture moderne, il semble que l’Acropole continue de nous poser la même question que le Sphinx à Œdipe. Que nous la regardions à l’aube, en plein midi, au crépuscule, que nous lisions le jeu des ombres et des lumières dans la lueur de ce qui nait ou de ce qui s’efface, on croit entendre une voix vous murmurer : « Qui m’a édifiée à l’aube de l’Occident, encensée au zénith de la raison, protégée au crépuscule de mes dieux ? » L’homme. Et pas seulement l’homme grec mais par lui, avec lui, l’homme d’Orient et l’homme d’Occident qui, pendant les siècles oubliés, ont pu, ont su cohabiter sur ce rocher qui ne sera jamais un rocher comme les autres.
(Dictionnaire amoureux de la Grèce, « Acropole »).