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Devata II, Angkor Vat

Jaroslav Poncar

Là, éclatant comme la Lune, clair, pareil à un pur cristal, est le sanctuaire
de Vasudeva, protégé par un bois de parijata.
A quatre portes, incomparable, pourvu de quatre portiques, difficile à
gravir, bien difficile d’accès.
Pourvu de halles de cristal, pareil à la demeure du roi des dieux, orné de
toutes parts de mille piliers d’or.
Pourvu d’escaliers d’or, embelli de toutes sorte de joyaux, pourvu de trônes
divins, doué de toutes les beautés …
Là du suprême dieu des dieux, de Vishnu au rayonnement infini, les rois
tout le temps expriment la grandeur.
Et, gracieuses, ravissantes, des femmes chantent et dansent, resplendissantes
de jeunesse, perpétuellement vouées à l’embellissement.

Cette description poétique d’un merveilleux sanctuaire, évoquée dans le Kûrmapurâna, fait allusion au temple d’Angkor Vat. L’enchantement saisit le visiteur dès son entrée dans le temple : sur chaque pan de mur (…), de ravissantes figures de jeunes filles vouées au dieux, des devata, l’accueillent et le charment (…). Elles s’emparent de lui et, envoûté par elles, d’étage en étage, il s’élève jusqu’au Sanctuaire Central, la demeure de Vishnu (Madeleine Giteau).

Ces nymphes délicieuses ornent le plus beau et le plus célèbre des temples du Cambodge : Angkor Vat, la Ville des Villes, ce monument majeur du Patrimoine mondial, ce sanctuaire immense qui fut jadis, au XIIe siècle, le majestueux séjour terrestre du grand dieu Vishnu(…). Le temple tout entier est son séjour vivant. Pénétrer dans Angkor Vat, c’est atteindre le sommet du génie khmer classique, tout imprégné de culture indienne et pourtant si profondément original (Pierre Baptiste).

Elles sont plus de deux mille, toutes différentes – jeunes ou âgées, souriantes ou graves, princesses ou paysannes… – mais toutes aussi ensorcelantes, telles qu’elles furent décrites par Pierre Loti dans son célèbre roman Le Pélerin d’Angkor :
… quelles sont jolies et souriantes sous leurs coiffures de déesses, ayant toujours pourtant cette expression de sous-entendu et de mystère… Très parées, ayant des bracelets, des colliers, des bandeaux de pierreries, de hautes tiares pointues… elles tiennent entre leurs doigts délicats, tantôt une fleur de lotus, tantôt d’énigmatiques emblèmes ; toutes celles que l’on peut atteindre en passant ont été si souvent caressées, au cours des siècles, que leurs belles gorges nues luisent comme sous un vernis… Dans leurs niches brodées de ciselures, elles demeurent adorables.

Un sentiment de trouble saisit le visiteur devant leur apparence tout à la fois divine et humaine, inaccessible et proche, hautaine et rieuse. Elles nous apparaissent ambivalentes, tout à la fois épouses de Visnu et du roi Suryavarman II, constructeur de l’ensemble (Pierre Baptiste). Mais sont-elles seulement réelles ? Un vertige nous saisit devant leur ineffable beauté, et leur présence sublime dans un lieu si sacré invite au respect de ces admirables gardiennes du temple.