#130

Danseuse balinaise

Marie-Laure de Decke

A Bali, la tradition théâtrale est encore très prégnante. Appartenant au quotidien des Balinais, ces spectacles racontent des récits mythologiques mille fois répétés et connus par eux.

Le spectacle du théâtre balinais qui tient de la danse, du chant, de la pantomime – et un peu du théâtre tel que nous l’entendons ici – restitue, suivant des procédés d’une efficacité éprouvée et sans doute millénaires, à sa destination primitive le théâtre qu’il nous présente comme une combinaison de tous ces éléments fondus ensemble sous l’angle de l’hallucination et de la peur (…).
En somme les Balinais réalisent, avec la plus extrême rigueur, l’idée du théâtre pur, où tout, conception comme réalisation, ne vaut, n’a d’existence que par son degré d’objectivation sur la scène (…).
Les Balinais, qui ont des gestes et une variété de mimiques pour toutes les circonstances de la vie, redonnent à la convention théâtrale son prix supérieur, ils nous démontrent l’efficacité et la valeur supérieurement agissante d’un certain nombre de conventions bien apprises et surtout magistralement appliquées. Une des raisons de notre plaisir devant ce spectacle sans bavures, réside justement dans l’utilisation par ces acteurs d’une quantité précise de gestes sûrs, de mimiques éprouvées venant à point nommé, mais surtout dans l’enrobement spirituel, dans l’étude profonde et nuancée qui a présidé à l’élaboration de ces jeux d’expression, de ces signes efficaces et dont on a l’impression que depuis des millénaires, l’efficacité ne s’est pas épuisée (…). La merveille est qu’une sensation de richesse, de fantaisie, de généreuse prodigalité se dégage de ce spectacle réglé avec une minutie et une conscience affolantes (…). Ce théâtre purement populaire et non sacré nous donne une idée extraordinaire du niveau intellectuel d’un peuple qui prend pour fondement de ses réjouissances civiques les luttes d’une âme en proie aux larves et aux fantômes de l’au-delà. Car c’est bien en somme d’un combat purement intérieur qu’il s’agit dans cette dernière partie du spectacle. Et l’on peut en passant remarquer le degré de somptuosité théâtrale que les Balinais ont été capables de lui donner.

Antonin Artaud, octobre 1931