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Lieux de paix, îles de bonheur, Golfe du Morbihan II

Marc Dekeiste

Un paysage bleuté, une mer étale et cristalline, un calme apparent – un monde enchanté, une mer inconnue, des îles de bonheur... Mais où diable sommes-nous ? Tout près, en réalité – ce paysage à l’exotisme apparent, qui semble sorti d’une estampe japonaise, se trouve en Bretagne. Le golfe du Morbihan, dont le nom breton – Mor bihan – signifie petite mer est une véritable mer intérieure abritée de l’océan. La légende dit que l’on y compte autant d’îles que de jours dans l’année… Et que le golfe aurait été créé par les larmes des fées chassées de la forêt de Brocéliande. Les fées y auraient ensuite jeté leur couronne qui seraient devenues des îles…

Nul doute que Chateaubriand soit passé par là, qu’il ait aimé ces terres sauvages et qu’il se soit abandonné aux songes de son cœur

Des vastes mers tableau philosophique,
Tu plais au cœur de chagrins agité :
Quand de ton sein par les vents tourmenté,
Quand des écueils et des grèves antiques
Sortent des bruits, des voix mélancoliques,
L’âme attendrie en ses rêves se perd,
Et, s’égarant de penser en penser,
Comme les flots de murmure en murmure,
Elle se mêle à toute la nature :
Avec les vents, dans le fond des déserts,
Elle gémit le long des bois sauvages,
Sur l’Océan vole avec les orages,
Gronde en la foudre, et tonne dans les mers.
Mais quand le jour sur les vagues tremblantes
S’en va mourir ; quand, souriant encor,
Le vieux soleil glace de pourpre et d’or
Le vert changeant des mers étincelantes,
Dans des lointains fuyants et veloutés,
En enfonçant ma pensée et ma vue,
J’aime à créer des mondes enchantés
Baignés des eaux d’une mer inconnue.
L’ardent désir, des obstacles vainqueur,
Trouve, embellit des rives bocagères,
Des lieux de paix, des îles de bonheur,
Où, transporté par les douces chimères,
Je m’abandonne aux songes de mon coeur.

François-René de Chateaubriand, La Mer, Tableaux de la nature, 1784-1790