Comme l’a raconté Marc Riboud, à Angkor, les plaisirs de l’œil sont à leur comble. Jamais toile de fond ne fut plus majestueuse pour satisfaire ce rapport si souvent et si passionnément désiré entre la vie, les hommes et leur décor.

Sur cette image bucolique et sereine, la vie paisible a repris sur les berges de la rivière qui fut celle d’Angkor, le Stung Siem Reap, une vie d’un autre âge si proche encore de celle qui anime certains bas-reliefs du Bayon. Avant 1975, des norias tournaient au fil du courant avec des grincements mélancoliques qui, le soir, se mêlaient au crissement strident des cigales. Actuellement – c’est-à-dire à l’époque où a été prise cette photographie, en 1990, commente Madeleine Giteau, ancien conservateur du musée national du Cambodge à Phnom Penh, des barrages ont ralenti le cours de la rivière et les norias n’ont pu être remontées. Ici, une femme s’est accroupie sur une poutre ; ayant drapé autour d’elle un sarong, la pièce d’étoffe qui peut être utilisée comme une jupe ou couvrir tout le corps, elle lave le tissu qui la revêtait pendant le bain.

L’eau, omniprésente dans cette photographie, fait partie du paysage intérieur du photographe, comme l’a expliqué Catherine Chaine, sa femme. Regardant cette photographie on rêve l’eau autant qu’on la voit, on l’imagine chaude, douce, limoneuse, prête à envelopper, à caresser, à porter, à alléger, et le geste de la femme, si gracieux, a la même fluidité, la même lenteur, la même douceur que le courant de l’eau elle-même. Pour moi cette photographie est à la fois un portrait de Marc et une image de son amour pour la femme, pour la féminité, pour le sentiment amoureux tel qu’il le voyait, capable de porter, d’envelopper, de transporter, de renaître toujours comme une eau qui coule sans jamais s’épuiser.

Car enfin, pour un photographe, l’eau a aussi le charme du reflet et l’image projetée sur sa surface lui donne une rime visuelle qui redouble son charme. Lequel, dans cette image exquise, est immense…